mardi 16 septembre 2008

L´Observatoire de l´hétérosexualité bientôt sur liberation.fr

Bonjour à toutes et à tous

Plusieurs internautes se sont inquiétés de plus voir de billet sur notre blog. L´Observatoire de l´hétérosexualité serait-il donc décédé ? Aurait-on déjà fait le tour de la question ? Nos vaillants observateurs auraient-ils jeté l´éponge ? Le sujet serait-il trop mince, ou au contraire trop lourd ? Que nenni !

En fait, nous sommes en cours de déménagement, ce qui explique cette petite pause. Mais vous pourrez bientôt nous retrouver sur http://heterosexualite.blogs.liberation.fr/ Donc, un peu de patience, et au plaisir de vous retrouver dans ce nouvel espace !

Louis-Georges Tin et Teknad

lundi 8 septembre 2008

Rachida Dati et l’hétérosexisme

Jusqu’ici, on pensait à Rachida Dati pour illustrer la problématique de l’immigration ou de l’intégration, des Arabes ou des musulmans. Or son histoire personnelle éclaire tout autant la problématique de l’hétérosexisme, c’est-à-dire la norme du couple hétérosexuel, qui exerce son empire sur tous, et d’abord sur les hétérosexuels eux-mêmes. C’est que Rachida Dati est une femme hétérosexuelle qui tente de se battre contre l’hétérosexisme.

En ce sens, deux épisodes parmi d’autres éclairent son parcours. Le premier est relaté par la ministre elle-même dans le livre d’entretiens avec Claude Askolovitch qu’elle a publié récemment chez Grasset, et qui s’intitule Je vous fais juges. Elle y évoque le mariage qu’elle a contracté dans sa jeunesse. Ce n’était pas un mariage forcé, ni même un mariage arrangé, précise-t-elle : c’était « une aberration sans doute, mais consentie ». Or la suite du dialogue est révélatrice :

-Je me suis dit que ça pourrait peut-être marcher. Qu'on ne m'ennuierait plus avec mon statut de femme célibataire...

-On vous embêtait ?

-Vous savez ce que c'est. Ou plutôt, vous ne savez pas ! Ce sont des discussions, des pressions récurrentes ; l'environnement. Les gens qui interrogent mes parents,
à Chalon. Une atmosphère... L'envie qui vous prend de céder, de laisser aller, de faire plaisir... Je me dis qu'après tout être mariée me donnera un statut.

En quelques mots, sans doute sans le savoir, Rachida Dati vient de définir l’hétérosexisme. Car la norme du couple hétérosexuel, c’est d’abord la norme du couple. A l’évidence, son « statut de femme célibataire » posait problème à son entourage. Les « discussions », les « pressions », « l’environnement », l’« atmosphère », tous ces mots décrivent l’expérience d’une norme qui ne conçoit la femme que dans le rapport à l’homme –autrement, pas de statut légitime. C’est pourquoi la jeune fille finit par « céder ». En ce sens, on le voit, ce « consentement » n’était pas totalement libre. Mais aussitôt, elle comprend son erreur, et tente, non sans succès, de faire annuler son mariage. Comme elle l’explique elle-même : « J'avais consenti à une cérémonie contre nature... » Propos révélateur…

Le second épisode, c’est bien sûr sa grossesse. La rumeur fut finalement confirmée par la ministre, qui refuse cependant de préciser le nom du père. Elle explique seulement qu’elle a une vie privée « compliquée ». Les supputations vont bon train. Ne serait-ce pas José Maria Aznar ? A moins que ce ne soit Dominique Desseigne, PDG du groupe Lucien Barrière, ou encore Henri Proglio, patron de Veolia Environnement ? D’autres lancent le nom de l’animateur, Arthur. Mais Rachida Dati refuse d’en dire davantage ; c’est sa vie privée. Et elle entend exercer ses fonctions ministérielles jusqu’au bout : « ce n’est pas une maladie. » Là encore, la nervosité du public tient au fait qu’une femme publique qui devient mère sans père, cela gêne tout le monde. Si encore elle disait qu’il y a un homme, quel qu’il soit, régulièrement à ses côtés, on serait en partie soulagé. Mais non, elle ne dit rien.

Rachida Dati est donc cette femme étonnante qui accepte le mariage, mais repousse le mari, qui devient mère sans dire qui est le père. Or, en tant que femme publique, à la tête d’un ministère aux fonctions régaliennes, elle exerce son autorité de manière brutale, c’est-à-dire masculine, tout en jouant dans les revues people sur une féminité exacerbée par les apprêts de Christian Dior, de Chanel ou de Prada. Une femme, très femme, qui agit comme un homme, qui accepte les hommes et semble les refuser. En ce sens, on le voit bien, elle ne cesse de déroger aux règles assignées aux personnes de son genre, qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en plaigne…

dimanche 7 septembre 2008

Straight Pride, White Pride, même combat ?

Si elle répond évidemment à la « Gay Pride », la formule « Straight Pride » semblait aussi faire écho à la notion de « White Pride » qu’évoquent si souvent les promoteurs de la Suprématie blanche aux Etats-Unis. En effet, ceux-ci considèrent que les Blancs constituent un groupe en soi, de plus en plus menacé, et qui devrait avoir le droit d’exprimer sa fierté, à l’instar des Black Prides qui existent effectivement. Ce concept de « White Pride » a été souvent repris par Don Black, ex-leader national du Ku Klux Klan, ou encore par David Lane, militant néo-nazi, qui appelle même à la WPWW (White Pride World Wide) dans son ouvrage, The White Genocide Manifesto. Par ailleurs, White Pride est aussi le nom d’un groupe néo-nazi hardcore punk, qui se lança au début des années 80. Bref, les promoteurs de la Straight Pride semblaient s’inspirer des chantres de la White Pride.

De fait, il y avait une analogie manifeste entre les deux thématiques, et dans les deux cas, on s’interrogeait sur l’utilité et la légitimité de pareilles manifestations. Mais compte tenu du caractère extrémiste de la White Pride, de sa violence, de son racisme affiché, les plus modérés des promoteurs de la Straight Pride s’insurgeaient contre ce rapprochement. Du reste, l’organisateur de la Pride de Londres en 2007 se défendait de toute perspective agressive à l’égard des gais et des lesbiennes. Lui-même disait avoir participé à plusieurs Gay Prides, et celles-ci n’étaient pas dirigées contre les hétérosexuels ; par conséquent, il n’y avait pas lieu de penser que les Straight Prides avaient pour but de s’opposer aux homosexuels. Cependant, d’autres organisateurs affirmaient que leur but était bel et bien de s’opposer aux revendications gaies et lesbiennes, qui attentaient selon eux aux fondements de la société en général. Pour eux, oui, il s’agissait de défendre la suprématie hétérosexuelle, et sur bien d'autres sujets, d'ailleurs, leurs positions étaient assez proches de celles des tenants de la suprématie blanche.

En revanche, les organisateurs de la Pride de New York étaient, eux, assez peu suspects de sympathie pour le Ku Klux Klan. Les artistes de reggae et de dancehall à l’origine de l’événement étaient certainement plus proches de la Black Pride que de la White Pride. Et c’est du reste ce qui faisait l’originalité de cette manifestation de Brooklyn : ordinairement orchestrée par des membres de groupes religieux ou des électeurs du Parti républicain, la Straight Pride pouvait aussi, on le voyait bien à cette occasion, être reprise par des mouvements jamaïcains ou afro-américains, qui affirmaient parfois la nécessité de protéger les noirs des influences « décadentes » des Blancs. En ce sens, malgré les affinités plus d’une fois constatées entre les deux mouvements, on ne pouvait réduire la Straight Pride à un sous-produit de la White Pride.

samedi 6 septembre 2008

A quoi bon la Straight Pride ?

Evidemment, ce concept était loin d’être consensuel, même au sein de la communauté hétérosexuelle. Deux arguments étaient ordinairement opposés aux promoteurs du mouvement. Le premier pouvait être formulé ainsi : la Straight Pride est inutile. Les personnes hétérosexuelles n’étant nullement discriminées en tant que telles, quel besoin aurait-elles d’organiser des manifestations pour défendre leurs droits ? En réalité, la Straight Pride, n’est-ce pas tous les jours ? L’hétérosexualité est célébrée sans cesse, à la télé, dans les magazines, dans les publicités, etc. Alors, à quoi bon organiser ces manifestations superfétatoires ? A ces objections, les supporters de la Straight Pride répondaient souvent en affirmant que tout un chacun a le droit d’afficher son identité publiquement. Pourquoi les personnes discriminées seraient-elles les seules à pouvoir exprimer leur fierté d’être ce qu’elles sont ? On peut être hétérosexuel, fier de l’être, et le dire haut et fort. En quoi cela devait-il gêner qui que ce fût ?

L’autre argument consistait à dire non pas que la Straight Pride est inutile, mais qu’elle est nuisible. Elle ne serait rien d’autre qu’une stratégie nouvelle, plus subtile, et plus pernicieuse que celles d’autrefois, paradigme vicieux destiné non seulement à euphémiser les rapports de domination homos-hétéros (« nous ne faisons qu’exprimer notre fierté d’être hétérosexuels »), mais même à inverser dans les esprits la réalité de ce rapport (« en fait, les vraies victimes, c’est nous, les hétérosexuels, menacés que nous sommes par les homosexuels »). En d’autres termes, la Straight Pride serait au mouvement gai et lesbien ce que la Suprématie blanche est au mouvement noir aux Etats-Unis.

vendredi 5 septembre 2008

New York, nouvel échec de la Straight Pride...

Le 31 août 2008 se tenait à Brooklyn une « Straight Pride ». Répondant au principe de la « Gay Pride », ou plutôt s’y opposant, cette manifestation était organisée par le label TCOOO Productions, une compagnie spécialisée dans la production d’artistes de reggae et de dancehall. Cette marche se présentait en soi comme un événement, ou du moins comme un symbole : c’était le coming out de l’hétérosexualité à New York, dans cette ville phare du monde occidental...

La Straight Pride de New York était directement liée à la campagne « Stop Murder Music », lancée depuis quelques années par les mouvements homosexuels aux Etats-Unis, mais aussi en Europe et dans les Caraïbes. En effet, il s’agissait de s’opposer à des artistes de raga et de dancehall dont les chansons appellent à tuer, à brûler, à fusiller les « chi chi men », c’est-à-dire les homosexuels. Réagissant à cette campagne qui les visait, certains leaders de la communauté incriminée avaient décidé de prendre le taureau par les cornes. Le président de TCOOO explique ainsi les raisons de la Pride dont il était l’organisateur : “Ils ont annulé les concerts d’artistes comme Buju Banton, Sizzla Kalonji et Capleton, et je suis resté assis à regarder sans rien faire. Mais quand la communauté gaie s’est attaquée à des artistes de TCOOO comme Vineyard, le Prêtre rebelle, Stapler et Jango Fresh, nous avons décidé qu’il fallait faire une démonstration de force. »

Quant au fameux Jango Fresh, il avait lui-même expliqué : « la Straight Parade est une idée formidable car lorsqu’une chanson comme « Hit them hard », composée par mon camarade Stapler peut être interdite juste parce qu’elle affirme l’importance d’un homme et d’une femme dans chaque famille, c’est le signe qu’il est temps pour les hétérosexuels de se réveiller. » Certes, Jango Fresh était un peu de mauvaise foi ; son ami Stapler ne se contentait pas « juste » d’affirmer qu’il faudrait un homme et une femme dans chaque famille, il affirmait aussi, et ce dès le début de sa chanson, qu’il entendait frapper durement tous les hommes qui rendent visite aux hommes par derrière (« Jah Jah gonna hit them hard, All the men who visit men backyard ») ; et le titre de sa chanson, comme le rappellait Jango lui-même, était assez clair : frappe-les fort.

Cependant, la Straight Pride de Brooklyn ne rassembla pas plus de 500 manifestants, et son retentissement médiatique fut assez faible. En ce sens, cette manifestation à New York, dont certains attendaient beaucoup, ne faisait guère mieux que celles qui avaient précédé.

jeudi 4 septembre 2008

L’Echec de la Straight Pride ?

Cependant, assez souvent, ces manifestations ne rassemblèrent que peu de participants, et la médiatisation fut assez faible. Dans telle ville, par exemple, les contre-manifestants homosexuels étaient pratiquement plus nombreux que les manifestants hétérosexuels eux-mêmes. En ce sens, le mouvement politique qu’est la Straight Pride n’avait pas tenu ses promesses. Cet échec était d’autant plus remarquable que le nombre de personnes mobilisables a priori semblait très élevé. Est-ce à dire que peu de personnes se sentaient concernées par l’hétérosexualité aux Etats-Unis ? Comment expliquer ce déficit d’enthousiasme pour le sujet ? En fait, aux yeux du grand public, ces manifestations semblaient tout à fait inutiles. L’hétérosexualité étant l’option dominante dans la société, il n’était point besoin de la défendre.

Cependant, les choses n’étaient pas si évidentes. La Straight Pride aurait pu trouver un certain écho dans la société américaine. En 1995, un sondage paru dans Newsweek Magazine montrait que pour 21% de la population globale, et 43% des chrétiens évangélistes, le mouvement gai et lesbien était « Satan incarné »… Par ailleurs, les demandes des associations LGBT, qu’il s’agisse de la présence des gais et des lesbiennes dans l’armée, ou du mariage des couples de même sexe, toutes ces revendications avaient fortement mobilisé les mouvements chrétiens et les conservateurs depuis quelques années. Ceux-ci avaient réussi à financer des campagnes médiatiques, à faire passer des lois, à faire voter des amendements constitutionnels, et tous avaient expliqué que l’agenda gai et lesbien constituait une menace pour la famille américaine. En ce sens, les citoyens conservateurs ou religieux auraient pu s’approprier le concept même de Straight Pride.

Mais ce ne fut pas le cas. Cet insuccès s’explique de deux façons au moins. Tout d’abord, les organisateurs des manifestations liées à la Straight Pride avaient choisi le plus souvent une ligne ambiguë : tantôt, ils critiquaient les homosexuels, qui menaçaient selon eux la société, tantôt ils expliquaient au contraire qu’ils n’avaient rien à reprocher aux homosexuels, que chacun était libre d’affirmer son choix, et qu’eux-mêmes ne faisaient qu’exprimer leur identité, sans hostilité aucune envers qui que ce fût. Cette attitude était peu faite pour attirer à eux les réseaux des mouvements radicaux, qui avaient su mobiliser leurs troupes par exemple en s’opposant au gay marriage. Cette manière de dénoncer sans dénoncer déconcertait le grand public. Etait-ce de la faiblesse, ou de l’hypocrisie ? En tout cas, à force d’expliquer qu’ils n’étaient pas homophobes, ils avaient réussi à détourner d’eux-mêmes une bonne partie de leur auditoire potentiel. En définitif, leur objectif paraissait peu clair ; leur agenda était fort peu lisible : que signifiait finalement la défense de l’hétérosexualité ?

Ensuite, cet insuccès s’expliquait aussi par le déficit d’organisation du mouvement. La Straight Pride était une notion a priori séduisante, des citoyens divers s’en réclamaient sur internet, créaient des T shirts, montaient des blogs, organisaient des campagnes plus ou moins spontanées, mais sans chercher à se structurer de manière plus rationnelle. Certaines associations plus importantes avaient tenté de reprendre le thème, mais sans véritable coordination. Par ailleurs, elles défendaient souvent des idées assez différentes, pour ne pas dire assez opposées. Certaines étaient plutôt religieuses, d’autres plutôt politiques, les dernières se voulaient indépendantes. Certaines étaient franchement homophobes, et le revendiquaient, d’autres affirmaient qu’elles ne l’étaient pas, et s’en défendaient. Bref, il y avait autour de la Straight Pride une certaine confusion : pas d’objectifs clairs, pas de réseaux organisés ; partant, pas de succès.

Cependant, il convient de relativiser cet échec. Tout d’abord, le mouvement était encore assez jeune. En quelques années à peine, après tout, il avait réussi à essaimer dans tout le pays, fût-ce de manière désordonnée. Plusieurs grandes associations s’y étaient impliquées déjà de manière active. Surtout, chose non négligeable, les promoteurs de la Straight Pride avaient réussi à introduire une certaine nouveauté dans le cadre théorique des questions de sexe et de genre. Ils avaient mis au jour la question hétérosexuelle, ils l’avaient mise en avant, et l’avaient problématisée. En cela, ils avaient déjà gagné une victoire intellectuelle.

mercredi 3 septembre 2008

Straight Pride in America : la longue marche des hétérosexuels

A partir de ce moment, plusieurs manifestations eurent lieu aux Etats-Unis afin de promouvoir la Straight Pride et de répondre à la Gay Pride. Bien souvent, elles reprenaient le modus operandi des parades gaies et lesbiennes. En ce sens, ces opérations avaient souvent une dimension humoristique, parodique, ou satirique. En soi, l’idée même d’une Straight parade pouvait paraître assez drôle, mais les activistes hétérosexuels allaient plus loin. Ainsi, lors de la Straight Parade de Telluride, en 2007, certains participants organisèrent un kissing public (hétérosexuel, bien sûr), imitant en cela les mouvements gais et lesbiens ; d’autres portaient des pancartes portant des inscriptions comme « Straight is Great » (en écho à « Gay is good »), ou encore « Adam and Eve, not Adam and Steve ». Dans les jours qui suivirent, dans la presse et sur internet, plusieurs commentateurs critiquèrent ces slogans, car ils y voyaient l’expression d’une homophobie à peine voilée. « Adam and Eve, not Adam and Steve » : malgré le jeu de mots, cet énoncé n’en demeurait pas moins l’injonction à un ordre biblique dont la violence symbolique était tout à fait manifeste.

Les promoteurs de la Straight Pride organisèrent ainsi de nombreuses manifestations publiques. Il s’agissait en général de marches à travers les villes, ou de campagne de sensibilisation sur des campus universitaires. Parmi les plus importantes de ces opérations figure la marche qui eut lieu le 15 juin 2003 à Portland, dans l’Oregon. Il s’agissait bien sûr de promouvoir l’hétérosexualité et la famille américaine. Le Comité d’Organisation était constitué de chrétiens, mais se disait ouvert à tous les hétérosexuels sans distinction de race, de religion, ni même de statut marital. Officiellement, on pouvait donc être musulman, noir et célibataire, et faire partie du mouvement. Le Comité était conscient des objections et des critiques qui pouvaient être formulées à son encontre. C’est pourquoi il prit soin de rédiger certaines règles très précises, destinées à éviter tout débordement. Les pancartes exprimant la haine ou la violence étaient proscrites. Ainsi, au lieu d’affiches disant « les pédés sont des pécheurs », « Dieu déteste les pédés », ou même « vous n’avez pas encore le sida ? », slogans maintes fois entendus par ailleurs, le comité recommandait plutôt les messages d’amour : « Dieu vous aime tous ». De même, les armes étaient interdites : ce n’était pas un rallye de la NRA. En outre, on exhortait les participants à avoir l’air au moins aussi gai que les gais eux-mêmes, et on expliquait dans le règlement comment éviter les altercations avec les éventuels militants homosexuels, qui viendraient organiser une contre-manifestation. Au lieu de répondre aux provocations, il suffisait de proclamer : « Alleluia ! »

En janvier 2005, une « Straight Pride week » fut organisée sur le campus de l’University of Central Oklahoma. Cette semaine avait été lancée par les Républicains de l’Université. Kyle Houts, l’un des responsables du parti sur le campus affirma : “Si vous êtes un étudiant hétérosexuel sur ce campus, soyez fiers, dites-le fort ; pour vous, c’est le moment de briller ! » Des tracts avaient été diffusés : « we’re here, we’re conservative, we’re out ». On le voit, la formule reprenait explicitement la métaphore du coming out, si caractéristique de la culture gaie et lesbienne. Cependant, ici, le coming out de l’hétérosexualité n’était pas mis en scène par un mouvement religieux, comme c’était le cas à Portland, mais par un mouvement politique. Confessionnalisation à Portland, politisation à l’University of Central Oklahoma, telles étaient les deux options dominantes au sein des manifestations liées à la Straight Pride : l’hétérosexualité s’installait ainsi au cœur des enjeux majeurs de la société américaine.

mardi 2 septembre 2008

Straight Pride in America : l’affaire Elliott Chambers

Depuis quelques années, s’organise aux Etats-Unis le mouvement de la Straight Pride : c’est en quelque sorte le coming out de l’hétérosexualité. Des hétérosexuels sortent du placard, et descendent dans la rue pour exprimer leur fierté d’être ce qu’ils sont. La première réaction sera sans doute la dérision. Cette initiative paraîtra saugrenue, ridicule, et même absurde. On se plaira à dénoncer le caractère décidément loufoque des Américains, et on passera à autre chose. Mais cette Pride s’inscrit dans un contexte et dans une histoire, qui méritent d’être retracés. Elle met en jeu des groupes sociaux, des personnalités, des objectifs politiques importants. Au-delà d’elle-même, surtout, elle apparaît comme le symptôme d’une situation nouvelle dans le dispositif socio-sexuel en Occident : bref, cette Straight Pride est un révélateur. Dès lors, allant au-delà de la dérision, l’observateur rigoureux se doit de prendre au sérieux ce phénomène.

Le lancement médiatique du mouvement est lié à l’affaire Elliott Chambers, qui émergea en 2001, au lycée de Woodbury, dans le Minnesota. Un jeune homme de 16 ans, Elliott Chambers, vint en classe avec un T Shirt portant l’inscription « Straight Pride ». Le jeune homme expliqua qu’il entendait réagir à la politique de l’établissement, qui menait des actions en faveur de l’intégration des gais et des lesbiennes. Selon ses propres dires, Elliott n’éprouvait aucune haine vis-à-vis des homosexuels, et s’opposait d’ailleurs à toute violence à leur égard, mais d'après lui, Dieu ne saurait approuver leur style de vie. Plutôt qu’une attaque contre les gais et les lesbiennes, il s’agissait pour lui d’un soutien à la cause hétérosexuelle. Cependant, ce vêtement fut interdit par le principal de l’établissement. Dès lors, l’American Family Association Center for Law intenta un procès au nom du jeune Chambers.

Le juge fédéral rendit son verdict. Selon lui, derrière le message, il y avait sans doute une forme d’intolérance, mais en l’occurrence, aucun élément ne permettait de penser que ce T shirt fût un obstacle à la bonne marche de l’établissement. Dans ces conditions, il n’y avait pas lieu de l’interdire. Cet avis fut considéré comme une victoire par Lana Chambers, la mère d’Elliott : comme elle l’expliqua, plusieurs des amis du jeune homme avaient d’ailleurs commandé un T shirt similaire, et attendaient avec impatience le jour du jugement pour savoir s’ils pourraient le porter eux aussi à l’école. Pour elle, Elliott avait lancé une sorte de mouvement. Elle n’avait peut-être pas tort…

La notion de Straight Pride n’avait pas été inventée par Elliott Chambers, évidemment. Mais ce procès et cette victoire furent ressentis et présentés, non sans raison, comme un moment symbolique, peut-être même comme un moment fondateur. Celles et ceux qui, depuis des années, expliquaient que l’hétérosexualité étaient menacée aux Etats-Unis, menacée par les politiques mises en place par le gouvernement en général, et par l’agenda gai et lesbien en particulier, eurent alors le sentiment que pour la première fois depuis longtemps, le vent avait tourné. Selon eux, l’hétérosexualité était discriminée, et l’affaire Chambers montrait qu’on cherchait même à la censurer, à la bâillonner, à l’interdire ; on lui refusait en tout cas l’accès au 4e amendement de la Constitution, qui protège aux Etats-Unis la liberté d’expression. Mais enfin, l’hétérosexualité avait réussi à faire valoir ses droits.

Stephen Crampton, conseiller en chef du Center for Law qui avait intenté le procès, affirma du reste : « c’est une victoire remarquable pour la liberté d’expression à l’école, et un pas en avant qui permet de mettre en lumière l’hypocrisie de « l’agenda de la tolérance ». Quand le politiquement correct invoque la « tolérance », ils veulent dire en général tolérance seulement pour ceux qui promeuvent des comportements déviants et destructeurs pour la société. Mais la Cour a reconnu que la vraie tolérance signifie tolérance de tous, et pas seulement de quelques-uns. » Ces propos manifestent l’état d’esprit dans lequel se trouvaient les défenseurs de la Straight Pride. Depuis quelques années, et même quelques décennies, ils se sentaient brimés, opprimés, humiliés ; mais ce jugement de la Cour leur redonna espoir. L’affaire ne concernait pas seulement Elliott Chambers, car bien entendu, ce n’était pas seulement une question de T shirt : pour la première fois, la notion de Straight Pride avait été reconnue par la justice américaine. C’était en quelque sorte une révolution, ou plus exactement, une restauration.

dimanche 31 août 2008

Homosexualité : 6 100 000 / Hétérosexualité : 310 000

En juillet 2008, en cherchant sur Google le nombre de pages correspondant aux termes « homosexualité » et « hétérosexualité », on trouvait respectivement les indications suivantes : 6 100 000 d’une part, et 310 000 d’autre part. Autrement dit, il y a vingt fois plus de pages contenant le mot « homosexualité » que de pages contenant « hétérosexualité ». Or les enquêtes statistiques affirment en général que la population homosexuelle représente 5% environ de la population totale. En d’autres termes, les homosexuels ne seraient qu’un vingtième de la population globale. Bref, les homosexuels ne sont qu’un vingtième de la population globale, mais le mot lui-même est vingt fois plus fréquent sur internet que le terme « hétérosexualité ».

Est-ce à dire que la toile parle beaucoup plus des homosexuels que des hétérosexuels ? Evidemment non. Les hétérosexuels sont moins nommés, mais beaucoup plus présents en réalité. Ils apparaissent de manière constante, et même dominante, mais sans être désignés en tant que tels. Ils jouissent du privilège paradoxal, celui du point de vue, qui est toujours le point aveugle : le sujet dominant observe, nomme autrui, sans avoir besoin de se définir soi-même, demeurant ainsi toujours la référence implicite à partir de laquelle sont décrites les autres réalités du monde. Privilège épistémologique, mais aussi politique. Mais désormais, nous nous arrogeons le droit d’observer les observants dans cet observatoire de l’hétérosexualité et des cultures hétérosexuelles.

Quelques citations sur l'hétérosexualité

« Songez que, dans nos sociétés, dans nos mœurs, tout prédestine un sexe à l’autre ; tout enseigne l’hétérosexualité, tout y invite, tout y provoque, théâtre, livre, journal, exemple affiché des aînés, parade des salons, de la rue. Si l’on ne devient pas amoureux avec tout ça, c'est qu'on a été mal élevé, s’écrie plaisamment Dumas fils dans la préface de La Question d’argent. Quoi ! Si l’adolescent cède enfin à tant de complicité ambiante, vous ne voulez pas supposer que le conseil ait pu guider son choix, la pression incliner, dans le sens prescrit, son désir ! Mais si, malgré conseils, invitations, provocations de toutes sortes, c’est un penchant homosexuel qu’il manifeste, aussitôt vous incriminez telle lecture, telle influence (et vous raisonnez de même pour un pays entier, pour un peuple) ; c’est un goût acquis, affirmez-vous ; on le lui a appris, c’est sûr. » (André Gide, Corydon, 1924)

« L'hétérosexualité, c'est mieux. » (Edith Cresson, premier ministre, 1991)

« De fait, dans ses efforts pour effectuer son auto-naturalisation en original, l'hétérosexualité doit se comprendre comme une répétition compulsive et contraignante : elle ne produit rien d'autre que l'effet de son originalité. Les identités hétérosexuelles contraignantes consolident les fantasmes ontologiques d' « homme » et de « femme » et, par des coups de théâtre, se posent comme fondement et origine de la mesure normative du réel. » (Judith Butler, Imitation et insubordination du genre, 1991)

« L'homosexualité fait partie des états premiers de la sexualité humaine, elle ne représente pas la fin de la sexualité, qui, dans le meilleur des cas, s'achemine vers l'hétérosexualité » (Tony Anatrella, prêtre et psychanalyste, Le Monde, 10 octobre 1998)

« Il ne peut y avoir aucune équivalence entre couples hétérosexuels et couples homosexuels. Cette évidence ne s'inspire d'aucune considération morale ou intégriste » (Jean-François Mattei, député DL, 1998).

« L'homosexualité est dangereuse, et inférieure à l'hétérosexualité » (Christian Vanneste, 2005, député UMP, condamné pour injure à caractère homophobe).